des automnes
pour Paul Mayer

Édouard Glissant «Des automnes, pour Paul Mayer» publié dans le catalogue de l’exposition « Images et Hommages à Paul Mayer », Université de Picardie Jules Verne, 2008.
Poète martiniquais, écrivain, essayiste, philosophe, Édouard Glissant a élaboré les concepts d’antillanité et de créolisation. Étudiant à Paris dès 1946, il rencontre Paul Mayer et rejoint le groupe de poètes et d’écrivains engagés, après-guerre, dans une volonté de renouvellement de la poésie, qui rassemblait, entre autres, Jean Paris, Jean Laude, Maurice Roche, Henri Pichette, Yves Bonnefoy, Jacques Charpier, Kateb Yacine, Roger Giroux et bien sûr Paul Mayer.

Bien plus que l’hiver, l’automne flamboie : mieux que l’été, il irradie de couleurs. Pour moi qui fus l’élève de la Saison unique, j’ai rapproché les ferveurs de cet automne, ou du moins ce que j’ai cru en avoir surpris, des tranquilles silences et des patientes accordailles de mots que Paul Mayer tramait en secret.
Tout à fait artisan de la page, et ajusteur, il était le travailleur baroque, et on s’étonnait comme il pouvait enjoindre l’un à l’autre, avec un équilibre toujours menacé mais jamais rompu, les graphies de langage ou les versets de couleurs qu’il semblait avoir désincrustés d’un massif lointain de lui seul connu. Cette manière pour toujours tremblante ne quittait pas les concrètes mélancolies ni les têtus vagabondages de sa prosodie : dans son art, Paul Mayer était seul. À ce point qu’on en arrivait, les plus proches de ses amis, ceux qui admiraient le plus ces combinaisons de mots heurtés d’où soupirait une sourde douceur, à ne le voir bientôt que comme ce voyageur discret qui arrivait pour quelques heures et puis s’en allait après avoir murmuré qu’il ne savait pas quand il reviendrait. Puis nous apprenions qu’il arrangeait aussi des tableaux en marge : ces versets de cou-leurs. Mais pour nous, c’était tout comme, il y avait une magie qui nous faisait considérer le talent de Paul Mayer comme allant de soi, nous le donnions pour un des meilleurs et n’avions pas idée de le lui dire, mais à la vérité il le savait bien. C’était comme un pacte entre nous. J’ai appris cela de l’automne, il invite à la pro-menade, mais peut-être pas à la confidence. Je le vois ainsi. Or il est arrivé que quand j’ai voulu faire entrer la galerie du Dragon dans la liste de mes Fastes, le recueil parut en 1991, c’est Paul Mayer qui emplit à lui seul, et sans que pas un le sache, même pas lui, la totalité de cette évocation d’un de nos lieux communs.

DRAGON

De loin de si loin du plus secret depuis l’an neuf
Éphémère, votif, et qui scille aux habillements
Qui songe, éclôt, s’enroule aux rets des lourds tableaux
Et me joue en repons un songe né d’Amiens

Édouard Glissant