le vu des mots

Jean-Roger Carroy « Paul Mayer, le vu des mots »publié dans le catalogue de l’exposition « Images et Hommages à Paul Mayer », Université de Picardie Jules Verne, 2008.
Jean-Roger Carroy et Paul Mayer se sont connus à Paris dans les cercles intellectuels du début des années 50 ; ils sont restés amis et ont longuement échangé sur l’art et la littérature.

Paul Mayer

le vu des mots

 

«ORPHÉE L’OBSCUR SA CHUTE…

…incendie le décor»

P.M.

 

 

L’image, parmi d’autres prestiges, ne vaut que des déroutes qu’elle inflige au dicible, et le poème, s’il fait, sur fond de ténèbre, en quelque heure de lutte avec l’ange, le jeu de la bougie absente, celle dont l’éclat frappe à la fois le crâne du mort et celui, penché, du Traducteur, c’est à seule fin de s’y éblouir et d’en perdre le sens.

Aussi bien serait-il absurde de rechercher, dans telle image de Paul Mayer, l’«illustration» possible de tel de ses poèmes ou d’assigner à telle image une «signification» qui, à l’inverse, pourrait être reprise d’un poème. Mêmes sidérations cependant, mêmes riches, et parfois inquiétantes concrétions, mêmes glaçures et irradiations d’outre-noir, mêmes turbulences stupéfiées. C’est qu’images et poèmes de Paul Mayer sont autant de produits d’une même chimie souterrainement tumultueuse. Mais, dans l’ordre textuel, celle-ci n’opère jamais – quitte à faire éclater ses normes – qu’en contredit d’une tradition formelle exigeante, qui l’investit absolument et qu’elle assume jusqu’au point exact, douloureux où, la fêlure s’étant produite, irrémédiable, la matière y gagne cette vibrance de nulle part qui est, je crois, la marque de l’authenticité orphique. En revanche, les manipulations, coulures, frottis, empreintes ou pulvérisations, dont procèdent les œuvres picturales sont on ne peut plus libres de contrainte. Ce sont rites d’un artisanat presque sauvage qui ne visent à rien moins, peut-être, faisant feu de tous artifices sensibles, qu’à incanter de partout – ponctuations constellantes, laisses chromatiques évasives, marches d’intensités variables promptes à virer à l’infini – un Corps qui n’aurait de souveraineté ni de nom qu’à prendre, en perte d’abîme, sur champ de plage où la bouche chanteuse se réduit au seul orifice envasé, toute la place de son propre inépuisable effacement.

Est-ce dire assez comme j’aimerais voir, tracé à l’encre de sympathie, sur cette feuille volante, mon propre texte ne se révéler qu’à la chaleur, et pour le bref instant, d’un souffle.

 

Jean-Roger Carroy